La nouvelle de la décennie : l’attentat de Québec
L’attentat perpétré par Alexandre Bissonnette à la grande mosquée de Québec est l’événement le plus médiatisé de l’histoire récente du Québec. Il a occupé 57,99 % de l’actualité dans la semaine du 30 janvier au 5 février. Un poids médias qui éclipse celui de 38,93 % établi en 2013 par la tragédie de Lac-Mégantic. L’attentat a agi comme un révélateur pour les médias québécois qui ont soudain braqué leurs projecteurs sur des problématiques peu couvertes jusqu’ici : celles des actes haineux et de la montée de l’extrême droite au Québec. On remarque ainsi une hausse de 587,97 % de la couverture accordée aux groupes faisant la promotion de ces idéologies entre 2016 et 2017. Du jamais vu!
L’attentat du 29 janvier 2017, qui a fait six morts et huit blessés parmi les fidèles, plonge le Québec et le Canada en état de choc. Il vient ainsi supplanter la tragédie de Lac‑Mégantic, l’événement le plus médiatisé de l’histoire du Québec jusqu’à 2017.
« Je ne reconnais pas ma ville » ; (François Bourque, Le Soleil) « Chez nous, à Québec? Incompréhensible. » (Gilbert Lavoie, Le Soleil) ; « Cette fausse impression de sécurité pouvait tenir jusqu’à hier soir. » (Karine Gagnon, Le Journal de Québec) Une surprise totale, que les chroniqueurs de la vieille capitale sont nombreux à exprimer au lendemain de la tragédie. Nul ne songe à mettre leur sincérité en cause. Toutefois, à la lumière de ce tragique événement, certaines nouvelles, antécédentes à l’attentat, prennent l’allure de signes avant-coureurs.
Des actes annonciateurs?
En effet, la plupart des mentions de la grande mosquée de Québec dans les médias avant les attentats sont liées à des actes haineux. Le plus couvert est survenu le 18 juin 2016, lorsqu’une tête de porc accompagnée d’un message malveillant est laissée devant l’entrée du lieu de culte. L’événement suscite une grande attention, avec 22,22 % des mentions du lieu de prière entre le 1er janvier 2013 et le 28 janvier 2017. Quelques semaines plus tard (8 juillet), un tract islamophobe était distribué dans le voisinage de la mosquée. L’événement est lui aussi passablement médiatisé. Il compte pour 12,96 % de la médiatisation du lieu de culte.
D’autres événements similaires ont également suscité l’intérêt des médias selon plusieurs angles.
Une accumulation de nouvelles liées à des gestes hostiles, même s’ils sont loin de l’agression armée. Dans un rapport d’avril 2014, le ministère de la Sécurité publique dénombrait plus de
250 crimes haineux au Québec, un bond de 39 % par rapport à l’année précédente. Et ce bond, précisait le ministère, était « majoritairement attribuable à la hausse des délits motivés par la haine contre certaines religions », qui avaient doublé d’une année à l’autre (48 en 2013 contre
94 en 2014).
Alexandre Bissonnette et l’extrême droite
À la suite de l’attentat, on a beaucoup spéculé sur ce qui a pu pousser Alexandre Bissonnette, étudiant en anthropologie puis en sciences politiques, à perpétrer le massacre. Maintes causes en amont sont d’ailleurs invoquées dans le torrent des commentaires suscités par le massacre. En voici une classification très générale, mais qui fournit un ordre de grandeur : les idéologies populistes ou d’extrême droite (20,51 %), le racisme ou la xénophobie (13,25 %), l’état mental du meurtrier (6,55 %), l’influence des radios d’opinion de Québec (5,85 %), le projet de Charte des valeurs du gouvernement Marois (1 %).
Il s’ensuit une véritable explosion de la couverture médiatique des groupes d’extrême droite québécois, qui augmente de 587,97 % entre 2016 et 2017.
Notons toutefois que, au cours des quatre années précédentes, les mentions de l’extrême droite, fragmentée en une kyrielle de groupuscules aux noms évocateurs — la Meute, Légitime violence, Pégida, les Soldats d’Odin, Storm Alliance, etc. — sont en hausse : 183,33 % d’augmentation en 2014, 109,8 % en 2015, 24,30 % en 2016. De telles influences radicales sont donc bien dans l’air du temps au moment où va sévir le meurtrier.
Reste que c’est précisément à partir du 29 janvier que l’on voit soudainement augmenter la couverture des groupes d’extrême droite québécois. L’attentat de la grande mosquée de Québec semble donc agir comme un révélateur, un événement qui a fait en sorte d’attirer l’attention sur une situation inquiétante. Loin d’être un phénomène temporaire, la vague de demandeurs d’asile en provenance des États-Unis, ainsi que la manifestation de Charlottesville suivie, une semaine plus tard, par celle de la Meute, contribueront à entretenir durablement cette inquiétude, tout au long de l’année 2017.