Parce que certaines expressions sont utilisées à tort et à travers par les médias, parce qu’il est parfois difficile de s’y retrouver sans véritable mise en contexte, Influence a décidé de fournir un lexique de certains des termes ayant fait l’actualité cette année, mais dont le sens ne semble pas clairement établi.
LA « CRISE » DES DEMANDEURS D’ASILE
L’expression « demandeur d’asile » renvoie à une notion juridique existant depuis longtemps. Cette année, les médias canadiens semblent toutefois l’avoir redécouverte. En 2017 seulement, elle a été plus utilisée dans les médias que durant les cinq années précédentes. Parallèlement, l’utilisation du terme « réfugié » a augmenté d’environ 45 % par rapport à 2016. L’expression
« immigrant illégal » a, quant à elle, été plus mentionnée en 2017 que durant les deux années précédentes. Souvent utilisés à toutes les sauces et pour décrire une même situation, quelles nuances peut-on faire entre ces termes?
Immigrant illégal
La notion d’immigrant illégal n’existe pas en droit canadien. Comme l’a noté l’ex-juge à la Cour suprême du Canada, Louise Arbour, dans une lettre ouverte au Devoir, l’invalidité d’une demande d’asile ou d’immigration ne rend pas l’individu qui la fait illégal. Autrement dit, on peut qualifier d’illégal un acte ou une situation, mais jamais une personne. Le Barreau du Québec a lui aussi appelé, par voie de communiqué, à éviter l’expression. Si certains commentateurs l’utilisent abondamment pour rappeler l’irrégularité d’une entrée au pays, son utilisation renvoie à une notion légale inexistante.
Exemple d’utilisation problématique :
« Le phénomène de hausse des demandes d’asile ne devrait pas avoir d’impact ailleurs qu’à Montréal, étant donné que toutes les ressources qui s’occupent des immigrants illégaux sont concentrées dans la métropole. » (Le Soleil, 4 août 2017, p.7)
Explication : il s’agit de demandeurs d’asile ou de nouveaux arrivants et non d’immigrants illégaux (articles 95 et 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés).
Autres exemples :
http://www.tvanouvelles.ca/2017/09/06/ottawa-se-prepare-a-une-deuxieme-vague-dimmigration
Demandeur d’asile ou réfugié?
Du point de vue de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, les termes
« demandeurs d’asile » et « réfugiés » sont plus justes. Lorsqu’un individu arrive au Canada, il peut demander l’asile en vue d’obtenir le statut de réfugié. Pour que la demande soit accueillie et qu’on puisse parler d’un réfugié plutôt que d’un demandeur d’asile, l’individu doit démontrer une crainte raisonnable de persécution dans son pays d’origine. Une fois la demande accueillie, il pourra notamment obtenir le statut de résident permanent. La distinction entre les deux termes se fait donc selon l’état de la demande de l’individu (articles 95 et 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés).
Cette définition juridique permet d’éclairer la procédure à laquelle peut se soumettre un nouvel arrivant, mais elle n’est pas complète. Indépendamment des critères de la Loi canadienne, ceux qui fuient un danger dans leur pays d’origine peuvent être considérés comme des réfugiés. On peut alors parler de réfugiés économiques ou climatiques, par exemple. Des situations qui échappent à l’application de la Loi.
Exemple d’utilisation problématique :
« Le Canada est tenu d’accueillir les réfugiés et de s’occuper d’eux jusqu’à ce que leurs dossiers soient traités en raison d’une convention internationale, mais pas de les garder. » (Journal de Québec, 3 août 2017)
Explication : au moment de l’accueil et avant que les dossiers soient traités, il s’agit plutôt de demandeurs d’asile souhaitant obtenir le statut de réfugié (articles 95 et 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés).
Autres exemples :
http://www.tvanouvelles.ca/2017/08/17/installation-dun-troisieme-camp-de-refugies
MONTÉE MÉDIATIQUE DE L’EXTRÊME DROITE
Extrême droite, ultranationalisme, islamophobie, suprémacisme, fascisme, alt-right, etc. Il y a de quoi se perdre entre tous les qualificatifs accolés aux groupes liés aux manifestations de Charlottetown aux États-Unis et de Québec, à la fin août. Les médias, eux, ne se gênent pas pour en faire usage. L’utilisation de l’expression « extrême droite » a effectivement augmenté de près de 130 % en moins d’un an dans les médias canadiens. Quoiqu’elles soient mentionnées quatre fois moins, les expressions liées à l’extrême gauche ont elles aussi nettement augmenté : plus de 200 % en moins d’un an. Notons toutefois que l’extrême droite tend à recevoir une couverture distincte, n’étant associée à l’extrême gauche qu’une fois sur dix, alors que cette dernière est liée à l’extrême droite dans près de la moitié du contenu la mentionnant.
Extrême droite, alt-right et suprémacisme
Du lot des qualificatifs sur ce thème, l’expression « extrême droite » est la plus utilisée dans les médias québécois. Par sa qualification de droite, le concept suggère une opposition à l’idée d’égalité défendue par la gauche en faveur d’une liberté basée sur le mérite ainsi qu’un nationalisme fort pouvant se traduire en intolérance. La qualification d’extrême renvoie pour sa part à un rejet des institutions sociales et des élites au profit d’une posture révolutionnaire ou profondément réformiste, souvent accompagnée par la montée d’un dirigeant autoritaire.
Dans son utilisation médiatique, la caractéristique révolutionnaire semble toutefois être relativisée en se rapprochant plutôt du mouvement de l’alt-right aux États-Unis. Quoiqu’il soit associé à un rejet des élites, l’alt-right est plutôt centré sur un suprémacisme, c’est-à-dire la croyance en la primauté d’une ethnie ou d’une religion sur les autres. C’est en ce sens que certains groupes québécois comme La Meute, Atalante Québec ou Storm Alliance sont targués d’extrême droite dans les médias en raison de leur fort nationalisme et de leur hostilité face aux immigrants, bien que certains d’entre eux n’adoptent pas une posture clairement révolutionnaire.
Exemple d’utilisation problématique :
« Le mouvement d’extrême droite gagne le Québec et des groupes se mobilisent devant l’arrivée de demandeurs d’asile. Des affiches anti-immigration avec le mot-clic #remigration ont fait leur apparition à Québec. Faut-il s’en alarmer? » (radio-canada.ca, 15 août 2017)
Explication : vu l’ambiguïté du terme, son utilisation générale et sans définition pour désigner un mouvement pose problème. Certains groupes auxquels on réfère ici pourraient plutôt être qualifiés de droite radicale, d’ultranationalistes ou de suprémacistes (aucune disposition légale sur ces termes).
Autres exemples :
http://www.journaldemontreal.com/2017/08/16/lextreme-droite-est-la-pour-rester
http://www.ledevoir.com/politique/quebec/502315/la-communaute-musulmane
Extrême gauche et antifascisme
Le cas de l’extrême gauche et des groupes antifa est plus problématique, car les médias les définissent généralement par rapport à l’extrême droite. Le terme antifa, contraction d’antifasciste, renvoie d’ailleurs plus à l’opposition et à la dénonciation du fascisme qu’à une idéologie propre. Les médias omettent toutefois souvent de faire la distinction entre les groupes antifa, qui prônent notamment certaines formes de violence, et l’antifascisme, qui regroupe plus largement l’opposition au fascisme.
Quant à l’extrême gauche, on peut l’identifier comme un rejet des institutions sociales et des élites au profit d’une posture révolutionnaire ou profondément réformiste, se basant généralement sur une idéologie anarchiste ou communiste. Dans les médias, l’expression est souvent associée aux groupes antifa et anti-capitalistes.
Exemple d’utilisation problématique :
« Je parlais hier, dans cette chronique, de la grande manifestation de l’extrême gauche de dimanche dernier. Ce qui en ressortait était clair : l’extrême gauche prétend lutter contre le racisme, mais sa vraie cible, c’est tout simplement le nationalisme québécois et, plus largement, le peuple québécois auquel on ne pardonne pas d’exister. » (Le Journal de Montréal,
Mathieu Bock-Côté, 15 novembre 2017, p.8)
Explication : l’utilisation générale du terme pour qualifier une manifestation rassemblant une pluralité de groupes et d’individus pose problème. Comme avec l’extrême droite, il faut faire attention aux amalgames et définir la portée du terme par rapport au sujet ou aux groupes dont il est question (aucune disposition légale sur ces termes).
Autres exemples :
http://www.journaldequebec.com/2017/11/25/desesperance-politique
http://journalmetro.com/actualites/national/1255784/manifestations-des-2-extremes-samedi-a-quebec/
LE TRIBUNAL DANS LES MÉDIAS
Difficile de suivre l’actualité judiciaire ou de comprendre la portée légale d’un scandale sans une mise en contexte des règles de droit évoquées. Du lot d’articles décrivant des infractions de nature sexuelle dans les médias québécois cette année, Influence n’en recense pourtant que 0,8 % qui fournissent une définition. Même son de cloche en matière de terrorisme, alors que moins de 0,7 % des articles définiraient ce terme lorsqu’il est utilisé. Leur portée, tout comme celle de bien d’autres termes légaux, est pourtant loin d’être si évidente.
Présumé, soupçonné ou allégué?
Dans les médias, le terme « présumé » est souvent associé à un individu faisant l’objet d’accusations criminelles ou de dénonciations sur la place publique. Avec des expressions comme « présumé meurtrier » ou « présumé agresseur », on suppose fréquemment la culpabilité d’un individu avant son procès.
Or, en droit, un accusé bénéficie de la présomption d’innocence. Dans le contexte d’un procès ou d’accusations n’ayant pas encore débouchés sur une condamnation, les termes « soupçonné »,
« accusé » ou « allégué » seraient donc plus justes. Il ne s’agit pas de miner la crédibilité de dénonciations, mais simplement de rappeler qu’une accusation n’est pas une condamnation, et qu’un accusé est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire dans un contexte judiciaire (Charte canadienne des droits et libertés, article 11d)).
Exemple d’utilisation problématique :
« Ugo Fredette, le présumé meurtrier et kidnappeur au centre d’une vaste chasse à l’homme le mois dernier, a été accusé cet après-midi du meurtre non prémédité de l’automobiliste
Yvon Lacasse. » (La Presse, 31 octobre 2017)
Explication : quoiqu’on puisse fortement soupçonner la culpabilité d’un individu, il serait plus juste d’utiliser l’expression « meurtrier et kidnappeur soupçonné » puisqu’il est présumé innocent jusqu’à ce qu’un verdict soit rendu (Charte canadienne des droits et libertés, article 11d)).
Autres exemples :
Agression sexuelle, consentement et harcèlement sexuel
Avec le mouvement #moiaussi, de nombreuses accusations d’agression sexuelle et de harcèlement sexuel ont fait les manchettes cette année. Ce sont toutefois deux notions distinctes et leur définition légale peut parfois être floue.
L’agression sexuelle est une infraction criminelle. Il s’agit d’un geste de nature sexuelle fait sans le consentement de la personne qui le subit. Le consentement ne peut être déduit du silence de la victime ou de gestes posés avant le moment de l’activité sexuelle. Il ne sera pas non plus valide s’il est donné dans un contexte d’intoxication sévère, que celle-ci soit volontaire ou non (Code criminel, articles 265 et 273.1).
Le harcèlement sexuel, quoiqu’il puisse parfois mener à des accusations criminelles, fait généralement référence au droit du travail. Ce dernier protège effectivement les salariés contre les effets négatifs de gestes ou paroles de nature sexuelle non désirés portant atteinte à la dignité de la victime, mais qui peuvent ne pas être des agressions sexuelles au sens du droit criminel (notamment Loi sur les normes du travail, article 81.18).
Exemple d’utilisation problématique :
« Agressions sexuelles : l’art d’enseigner à dire NON – Le sujet n’a jamais été autant d’actualité. Après Weinstein, puis Salvail et Rozon, le mouvement #MeToo est partout. Faut-il en parler avec nos enfants, et surtout, comment? » (La Presse, 6 novembre 2017)
Explication : il faut faire attention à ne pas mettre tous les scandales sexuels dans le même panier. Si les affaires Weinstein et Rozon impliquent clairement des agressions sexuelles, beaucoup des gestes d’Éric Salvail qui ont été exposés dans La Presse semblent plutôt relever du harcèlement sexuel. À tout le moins, des nuances seraient nécessaires. On pourrait par exemple parler de violences ou d’inconduites sexuelles (Code criminel, articles 265 et 273.1 et Loi sur les normes du travail, article 81.18).
Terrorisme
La définition du terrorisme ne s’est certainement pas clarifiée avec l’ajout de cette infraction au Code criminel canadien en 2015. Au sens large, le terme désigne un acte violent commis dans le but de créer un sentiment d’insécurité et avec des motivations idéologiques. Dans un contexte d’accusations criminelles de terrorisme, cela nécessite de prouver hors de tout doute raisonnable l’existence d’un objectif idéologique et d’une intention d’intimider la population. C’est ce qui explique, par exemple, qu’on puisse désigner Alexandre Bissonnette comme terroriste à la suite des attentats de la mosquée de Québec, mais qu’il ne soit pas accusé de ce crime (Code criminel, article 83.01).
Exemple d’utilisation problématique :
« Même son de cloche chez Mohamed Labidi, président du CCIQ. “Le tireur a quand même terrorisé des gens dans un lieu de culte. Est-ce qu’il y a plus terroriste que ça? s’est-il demandé. La réalité est que c’est du terrorisme pur et dur.” (…) Actuellement, Alexandre Bissonnette fait face à plusieurs chefs d’accusation liés à la fusillade du 29 janvier, mais aucune inculpation pour « terrorisme » n’a été déposée contre lui. » (Journal de Montréal, 21 juin 2017)
Explication : le volet légal et celui plus général de la définition du terrorisme sont ici mélangés sans établir la distinction relevant du contexte judiciaire. L’absence d’accusation n’empêche pas de qualifier un acte de terroriste. À défaut de pouvoir réconcilier les deux définitions, il reviendrait aux médias d’en souligner la distinction lorsqu’ils l’utilisent dans un contexte judiciaire (Code criminel, article 83.01).
Autres exemples :
http://www.journaldequebec.com/2017/06/21/ce-netait-pas-du-terrorisme-dit-le-maire