On peut affirmer, sans l’ombre d’un doute, que 2017 aura été l’année des politiciens populistes. Ceux-ci utilisent trois grands axes : d’abord, ils s’attaquent sans relâche à l’intégrité des médias traditionnels, puis ils les contournent, voire les boudent, en utilisant les réseaux sociaux et, enfin, ils utilisent un discours populiste. En 2017 seulement, Donald Trump a engendré près de 330 millions de mentions sur Twitter. Voilà une recette gagnante!

En dénonçant sans arrêt les médias traditionnels, Donald Trump a semé le doute chez plusieurs de ses compatriotes et ailleurs dans le monde. D’ailleurs, le terme « Fake News » est celui qu’il a le plus souvent utilisé sur Twitter, à 155 reprises, depuis qu’il est président. De même, il a remis en doute de nombreux médias traditionnels, dont CNN et NBC (30 fois chacun) et The New York Times (36 fois). Ses sorties, tant verbales qu’écrites, attaquant les médias font boule de neige en plus de détourner l’attention vers un autre média qui le sert bien, Fox News. Il a relayé les informations de cette chaîne qui lui sont favorables à 153 reprises. Ainsi, une récente étude de l’Institut Poynter nous apprend que seulement 19 % des sympathisants républicains font confiance aux médias traditionnels, alors que ce taux passe à 74 % chez les sympathisants démocrates. Trump a d’ailleurs exposé dans un tweet devenu célèbre — il a été relayé plus de
33 000 fois à ce jour — ce qui motive son utilisation effrénée du réseau social : « Seuls les médias de fausses nouvelles et les ennemis de Trump veulent que je cesse d’utiliser les médias sociaux (110 millions de personnes). Seule façon pour moi d’exposer la vérité. »

 

 

Entre le 1er janvier le 31 octobre 2017, le terme « populisme » a été mentionné plus de 3 000 fois dans les médias écrits québécois seulement. En fait, Donald Trump et Marine Le Pen sont, dans près de 60 % des cas, associés à ces mentions. Reste que le terme est couramment employé dans d’autres contextes, souvent de façon générique, afin de décrire le style d’un(e) politicien(ne), ou encore pour identifier certains enjeux sociopolitiques du moment. Le terme « populisme » est devenu un mot à la mode, employé dans différents contextes pour dépeindre des réalités souvent fort différentes.

Mais qu’est-ce, exactement, le populisme? Les médias prennent rarement le temps de le dire. Au Québec, Influence n’a dénombré qu’une vingtaine d’articles, tout au plus, qui s’emploient à l’expliquer. * (voir une note explicative au bas de cet article)

La force actuelle du discours populiste chez des politiciens comme Donald Trump,
Marine Le Pen ou Geert Wilders, fait en sorte qu’on l’associe souvent à la droite. Mais le populisme est aussi actif chez d’autres idéologies, tels le socialisme, le libéralisme, le nationalisme, etc. Historiquement, il a toutefois été récupéré par des mouvements provenant de toutes les parties du spectre politique, incluant le communisme russe de la Révolution bolchévique, le fascisme des années 1930, certains mouvements révolutionnaires
latino-américains, sans compter sa récurrence aux États-Unis.

Populisme et réseaux sociaux

Le politicien populiste cherche à établir une relation privilégiée avec ceux dont il prétend porter la voix et qui constituent le peuple. Les réseaux sociaux s’affirment dans cette perspective comme un outil extraordinaire pour porter le message populiste. Ils permettent en effet aux politiciens d’avoir accès aux usagers sans avoir à traverser le filtre médiatique. Les médias opèrent normalement une sélection des messages prononcés par les politiciens et développent une perspective critique sur ceux-ci. Les réseaux sociaux permettent, d’une part, de contourner ce filtre et aussi de communiquer directement avec les personnes concernées, soit les abonnés aux pages Facebook ou Twitter des politiciens. D’autre part, cela permet un retour direct de la part des usagers. Les messages pouvant ensuite être ajustés en fonction de la réaction des sympathisants.

Les politiciens populistes, en particulier ceux de droite, bénéficient d’une visibilité beaucoup plus large que ceux plus modérés. Influence a en effet calculé le nombre de mentions sur Twitter associé à plusieurs politiciens de différents pays où des mouvements populistes ont obtenu un succès politique important.

Le poids de Trump

 

Donald Trump est, dans cette perspective, incontournable. En effet, le président américain nous a habitués à une volée de tweets matinaux, qui dictent souvent l’actualité politique du jour aux États-Unis. Les chiffres sont impressionnants. L’homme a été mentionné près de 330 millions de fois sur Twitter entre le 1er janvier et le 31 octobre 2017. Ce chiffre est près de 10 fois plus élevé que le nombre de mentions d’Hillary Clinton qui, malgré son retrait de la politique active, reste l’une des figures politiques américaines les plus citées sur Twitter.

Le poids de Marine Le Pen

 

En France, Marine Le Pen ne bénéficie pas de la même domination dans la couverture Twitter des candidats aux dernières élections présidentielles. Elle a été l’objet de 11 millions de mentions, contre 15,5 millions pour Emmanuel Macron. Par contre, lorsqu’on examine les chiffres d’avant le premier tour, on constate que Marine Le Pen a été dominante. En effet, elle a obtenu le plus grand nombre de mentions sur Twitter pendant 12 des 16 semaines sur la période couvrant le début janvier 2017 jusqu’à la tenue du premier tour, le 23 avril 2017. Et cela, malgré le scandale de corruption qui est venu ternir la campagne de François Fillon, un autre candidat à la Présidentielle.

Le poids de Geert Wilders

 

Moins connu ici du fait qu’il est Néerlandais, Geert Wilders fait partie de ces populistes qui ont semé l’émoi en 2017. Comme dans le cas de Trump, Wilders domine largement les autres candidats aux dernières élections aux Pays-Bas en matière de couverture Twitter. Il a ainsi été cité cinq fois plus souvent que le premier ministre des Pays-Bas, Mark Rutte, sur ce réseau social.

Bien entendu, la forte couverture Twitter associée à ces trois politiciens est entrainée, en bonne partie, par les controverses qu’ils stimulent. Leur populisme implique une rupture avec la classe politique et médiatique dominante, ainsi que des prises de positions radicales qui enflamment les échanges sur les réseaux sociaux.

Tweets et médias

Lorsqu’on compare le positionnement politique de Trump, Le Pen et Wilders, on constate de grandes similarités, notamment dans le fait d’utiliser abondamment Twitter. On constate toutefois que l’usage qu’ils en font est très différent.

En effet, le compte Twitter de Marine Le Pen est utilisé de façon assez conventionnelle, c’est‑à‑dire pour prolonger sur les réseaux sociaux des actions de communication entreprises sur le terrain, que ce soit des participations à des émissions de télévision, des rassemblements partisans, ou tout autre événement où la politicienne est appelée à s’exprimer publiquement. Les tweets relaient, dans la majorité des cas, des vidéos promotionnelles, des extraits d’émissions de télévision, ainsi que de nombreuses citations. L’usage systématique des guillemets pour encadrer les citations vient signaler clairement que ces publications sont extraites de communications qui ne sont pas destinées à Twitter. Il s’agit donc d’un prolongement virtuel d’un discours tenu en personne. Il n’en reste pas moins que Twitter a une influence considérable sur la couverture médiatique de Marine Le Pen. Le réseau social est cité dans environ 9 % de celle-ci dans la presse écrite en France.

Tout comme Marine Le Pen, Donald Trump relaie nombre de vidéos et de photos tirées d’événements auxquels il participe. Mais le président américain utilise aussi — et peut-être surtout — Twitter pour exposer son point de vue ou attaquer ses adversaires. Le président nous a ainsi habitués à une volée matinale de tweets qui tend à orienter l’actualité politique du jour. En effet, environ 25 % de la couverture du président dans la presse écrite américaine mentionne le réseau social. La perspective est complètement inversée par rapport à Marine Le Pen, puisque c’est souvent le positionnement virtuel du président qui oriente le réel, comme en témoigne l’importance prise par ses tweets dans l’actualité politique aux États-Unis.

 

 

* Il y a un consensus assez fort dans le milieu universitaire pour souligner le caractère problématique du mot « populisme » qui, utilisé à toutes les sauces, devient un mot
passe-partout dont le sens est difficile à circonscrire. On s’entend cependant sur quelques éléments que Yascha Mounk, politologue de l’Université Harvard, a décrits ainsi lors d’une conférence donnée à Montréal en septembre : « Le populiste prétend représenter la volonté du peuple contrairement aux élites traditionnelles. Il affirme aussi que toute résistance à cette volonté, par exemple de la part des journalistes, des juges ou des institutions, est une
trahison. »
En d’autres mots, le politicien populiste réfère dans son discours au peuple en général et oppose celui-ci à une élite — politique, culturelle ou économique — qu’il considère comme corrompue. Pour le politicien populiste, le peuple est porteur d’une vérité ou d’une morale que les gens au pouvoir auraient trahie.

Une autre question apparait alors : qu’est-ce que le peuple? Justement, le politicien populiste se garde bien de le décrire. Il fait appel à lui sans cesse dans son discours, mais sans prendre en considération son pluralisme, pas plus que la diversité des intérêts qui le traversent. De même, il rejette en bloc l’élite, sans prendre la peine de considérer ce qu’elle peut apporter de bon à une société. Le populisme divise donc la société en deux catégories homogènes : le peuple face à l’élite.